Luis Macias
– The Kiss –
04.11.2020 – 02.12.2020
HD | 2014 | 9 min
Cette vidéo n’est plus en ligne. Cependant, vous pouvez lire le texte de commande ci-dessous et visiter le site web de l’artiste ici.
LE MICROCINÉMA AU TEMPS DE LA COVID-19
Cet événement est présenté en ligne en raison des restrictions imposées relatives aux déplacements et aux rassemblements publics.
Pour une durée limitée, la lumière collective présente à chaque semaine le film d’un artiste accompagné d’un texte de commande.
LISEZ LE TEXTE CI-DESSOUS
Soutenez les artistes indépendants en faisant un don :
Tous les dons sont distribués aux artistes.
Carlos Solano
Kiss Me Deadly : Parler d’amour en quatrième vitesse
— Je pensais peut-être écrire l’histoire de cette femme, celle qu’on voit dans le film. Elle écrirait une lettre à cet homme moustachu. Elle dirait qu’elle a rêvé de lui, et elle décrirait le film comme un rêve qu’elle vient de faire. Elle serait incapable de déterminer s’il s’agit d’un cauchemar ou même, peut-être, d’un vieux souvenir dilué dans le temps, mais elle aurait la nécessité, noble et sauvage, de partager cela avec lui. J’ai le début : j’crois que Binoche avait raison dans Mauvais Sang, même si, en l’occurrence, ce n’est pas l’amour qui m’a réveillé. Mais j’ai rêvé de toi.
— Tu veux dire… une sorte de lettre d’amour ?
— Pas exactement. Peut-être une lettre de désamour, une lettre qui lui permettrait de se libérer des fantômes du passé, une lettre d’adieu, comme dans le film… Un geste de perdition, quelque chose qui irait à sa perte, le dernier des derniers baisers. Deuxième option, plus plausible, car moins littéraire : un dialogue imaginaire entre deux personnes autour de ce film. Mieux : un échange maladroit autour de ce qu’elles viennent de voir. Ça parlerait d’amour, aussi. Mais d’une autre manière… moins connectée au film de Luis Macias. Ils parleraient de la nature de ce baiser. Ça basculerait très vite dans une conversation sur l’épouvante de l’amour romantique, l’amour fusionnel et identitaire, l’amour qui efface, qui détruit, qui déchire l’intestin, qui tue. Sans le savoir, elles parleraient de l’aspect formel du film. Oui, de la palpitation de ces taches blanches où se concrétise une forme d’incompréhension, une sorte d’obstacle à la compréhension de l’amour.
— Même une forme de genèse ou d’apocalypse… après tout, il me semble que ce film est tiré de l’œuvre des frères Lumière.
Note de l’auteur : en exagérant leur naïveté, les personnages proposent une lecture intéressante du film, bien que lacunaire sur certains aspects, qu’il importe d’indiquer. Il s’agit d’un film d’Edison et non pas des frères Lumière. The Kiss (1896), le film d’origine, est projeté par Luis Macias avec des projecteurs différents, filmé par plusieurs dizaines de caméras différentes.
— Oui, bien sûr ! C’était ma troisième option : sur le principe de La Jetée ou de Sans Soleil de Chris Marker. Un récit à la première personne dans un monde imaginé, sans souvenirs, sans mémoire, sans images. Et voilà, le narrateur trouverait ce bout de pellicule qu’il développerait, qu’il regarderait, qu’il passerait en boucle pour essayer de comprendre sa signification dans une civilisation qui n’existe plus. Ce serait comme s’il ne comprenait rien à ces images, comme s’il ne savait rien de ces humains, de leurs coutumes ou de leurs codes sociaux. Et d’ailleurs, il ne saurait pas comment réagir à ce passage de la figuration à l’abstraction. Il aurait peur, oui, peur d’être face à un objet éphémère qu’il importe de comprendre vite, de saisir dans l’urgence avant qu’il ne disparaisse. Il ne comprendrait pas si ces humains seraient en train de se confier l’un à l’autre, de s’aimer, de réfléchir, de jouer ou d’être simplement eux-mêmes. Tout ferait tache pour lui. Il questionnerait tout, chaque geste, ce baiser, lorsque l’homme — si c’en est un — recoiffe sa longue moustache ; lorsque cette femme — si c’en est une — l’observe d’un air rieur, mais désespéré. Il interrogerait le support du film, ses textures, la fragilité de ces images chancelantes qui s’évanouissent et disparaissent.
— Tu pourrais même essayer de penser… d’insérer cette image… Là, ça devient un peu méta… oui, imaginer ce film dans d’autres films. Qu’est-ce qu’il se passerait si tel personnage de film voyait cette image ? ; si cette image était insérée dans la vision d’un personnage de fiction ?
— C’est-à-dire ? Attends, je prends des notes. Parle moins vite.
— Je veux dire… Qu’est-ce qu’il se passerait si ce film était inséré dans un autre film et que les personnages étaient amenés à commenter The Kiss, le film de Luis Macias ? Si c’était un commentaire formulé par des personnages d’un autre film… Imagine, par exemple, Gena Rowlands et Peter Falk en train de commenter ces images dans un film de Cassavetes, ou Sigourney Weaver, seule dans son vaisseau, dans Alien. Qu’est-ce qu’il se passerait si ce film était présent dans un autre film ?
— On imagine sans trop de difficultés l’impact de ce film sur nos amis, sur notre famille… On peut faire une lecture de cette œuvre en s’appuyant sur des textes, sur une théorie, un concept, imaginer ce qu’un psychanalyste, imbibé de mépris patriarcal, pourrait penser de ce film très abstrait. Mais on conçoit rarement, tu as raison, la possibilité de penser un film à partir de la psyché d’un personnage de fiction. De telle sorte que… on apprendrait peut-être davantage de ce film en particulier ou du film dont est tiré le personnage choisi ? Se mettre dans la peau de Weaver dans Alien devant un film pareil… ça nous éclaire sur le film de Ridley Scott ou sur celui de Luis Macias ? Ou même, si l’on tire les ficelles jusqu’au bout, on pourrait s’amuser à imaginer ce que certaines célébrités pourraient penser devant un film pareil : Che Guevara, Kim Jong-un, Britney Spears…
La version originale de ce texte a été publiée sur Hors champ le 19.10.2020
Cet événement est présenté dans le cadre de la série CRITIQUES de VISIONS.
VISIONS est une série de projections mensuelles consacrée au cinéma documentaire expérimental et aux artistes dédié.es à l’image en mouvement. Sous la direction de Benjamin R. Taylor, depuis 2014, à Montréal, VISIONS présente ces oeuvres dans plusieurs lieux et en collaboration avec des festivals locaux tels que la Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montréal et Cinéma moderne. Les artistes sont toujours présent.es aux séances. Nous facilitons le voyage des artistes au Canada en organisant des projections, des ateliers et des tournées. Les films sont présentés dans leur format d’origine. VISIONS participe également à plusieurs festivals internationaux, visite d’expositions et facilite la rencontre entre les créateurs et le public.
Le programme en ligne CRITIQUES est une conséquence des activités de programmation reportées de VISIONS. En partant d’une sélection d’œuvres initialement programmées pour la saison 2020, il s’agit de les mettre en dialogue avec un écrivain local à qui l’on demande de réfléchir, réfracter, retracer et réinterpréter l’œuvre en question. Les textes rassemblés sont tout d’abord publiés dans une édition spéciale de Hors champ. Ensuite, à chaque semaine, une œuvre sélectionnée sera diffusée sur la nouvelle plateforme de projection virtuelle-à-l’épreuve-de-la-pandémie du microcinéma local la lumière collective, jumelée avec le texte.
Chaque itération propose à un écrivain invité de dialoguer avec les images à sa manière, dans le but de renouveler les idées, de proposer des conversations, d’établir de nouveaux discours. À une époque où la diffusion en ligne est abondante et sans fin, CRITIQUES vous propose de quoi lire et réfléchir. Quelque chose que vous pourrez garder avec vous jusqu’à notre prochaine rencontre.
Pour suivre le projet, inscrivez-vous à notre liste de diffusion.
La série CRITIQUES est présentée avec le soutien du Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts et lettres du Québec et le Conseil des arts de Montréal.
Carlos Solano
Kiss Me Deadly: A Conversation About Love in Fourth Gear
— I was thinking of perhaps writing the story of the woman, the one in the movie. She would write a letter to the man with the moustache. She would say that she had had a dream about him, and would recount the film as the dream she had had. Although she wouldn’t be quite certain if it had been a nightmare or even an old memory faded with time. She would feel overwhelmingly and uncontrollably driven to share the dream with him. I have the beginning: I believe that Binoche was right in Mauvais sang (Bad Blood), even if, in this case, it was not love that awakened me. But I did dream of you.
— You mean… a kind of love letter?
— Not exactly. Perhaps a letter of disenchantment, a letter that would free him from the ghosts of the past, a farewell letter, like in the film… A gesture of loss, something that would lead to his demise, the last of the last kisses. A second option and perhaps more plausible because it is less literary: An imaginary dialogue between two people about this film. Better: A clumsy exchange regarding what they have just seen. They would talk about love, too. But in another way… less connected to Luis Macias’ film. They would talk about the nature of that kiss. It would quickly turn into a conversation on the horrors of romantic love, love that fuses, love that erases, that destroys, that rips out the guts… that kills. Without realizing, they would talk about the formal aspect of the film. Yes, about the pulsating white blur where confusion, an obstacle to understanding love, takes shape.
— Maybe even a form of genesis or apocalypse… after all, it seems to me that this film grows out of the work of the Lumière brothers.
Author’s Note: It is important to point out that by exaggerating their naivety, the characters offer an interesting, if incomplete, portrayal. This is a film by Edison and not by the Lumière brothers. Luis Macias presents The Kiss (1896), the original film, using different projectors, filmed by several dozen different cameras.
— Yes, of course! That was my third option: Based on Chris Marker’s La jetée or Sans soleil. A first-person narrative in an imagined world, without memories, without recollection, without images. The narrator finds this piece of film and develops it, then watches it over and over again to try to understand its meaning in a civilization that no longer exists. It would be as if he or she understands nothing about these images, knows nothing about these humans, their customs or their social conventions. Moreover, he or she would not know how to react to the shift from figurative to abstract. The narrator would be afraid, yes, mortified to come across an ephemeral object that must quickly be understood, grasped in a hurry before it disappears. He or she would not understand if these humans were confiding in one another, loving each other, thinking, playing or simply being themselves. The narrator would see everything as complex. They would question everything, every gesture, that kiss, when the man – if indeed it is a man – smooths his long moustache; when the woman – if indeed it is a woman – watches him joyfully yet desperately. The narrator would question the film’s medium, its textures, how fragile these shaky images are, as they fade and disappear.
— You could even try to think… to insert this image… Now, this is getting a little meta… Yes, imagine this film inside other films. What would happen if a specific character in a film saw this image, if this image were seen by a fictional character?
— Meaning…? Wait, I’m taking notes. Speak slower.
— I mean… What would happen if this film were inserted into another film and the characters were asked to comment on Luis Macias’ film The Kiss? Suppose it was a commentary by characters from other movies… Imagine, for example, Gena Rowlands and Peter Falk commenting on these images in a Cassavetes film, or Sigourney Weaver, alone in her spaceship in Alien. What would happen if this film were seen by characters in another movie?
— It is easy to imagine the impact of this film on our friends or family… We can interpret this work using texts, a theory, a concept, and imagine what a psychoanalyst with a deep-seated contempt for patriarchy might think of this very abstract film. But, you’re right, we rarely consider the possibility of thinking about a film from a fictional character’s perspective. In doing so, would we perhaps learn more about that particular film or about the film from which the chosen character is derived? Would viewing this film as Weaver in Alien shed some light on Ridley Scott’s or Luis Macias’s film? Or, if we push it a little further, it might be fun to imagine what some celebrities, such as Che Guevara, Kim Jong-un, Britney Spears, and others might think while watching such a film…
Translated from the original French by Olga Montes, edited by Benjamin R. Taylor and published by Offscreen on 16.12.2020
The original version of this text was published by Hors champ on 19.10.2020
VISIONS is a series of monthly screenings devoted to experimental documentary cinema and artists specializing in moving images. Curated by Benjamin R. Taylor in Montreal since 2014, VISIONS presents these films in various venues and in collaboration with local festivals such as the Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montreal and Cinéma moderne. Filmmakers always attend screenings and we help them travel to/within Canada by organizing screenings, workshops and tours. Films are always presented in their original format. VISIONS also takes part in several international festivals and exhibitions and helps bring creators and the public together.
The online program CRITIQUES is a consequence of VISIONS’ postponed programming activities. Starting from a selection of works initially programmed for the 2020 season, the idea is to bring them into direct conversation with a local writer who is asked to reflect, refract, retrace and reinterpret the work in question. The collected texts are first published in a special edition of Hors champ. Then, each week, a selected work is shown on the new virtual-pandemic-proof screening platform of the local microcinema la lumière collective, together with the text.
Each iteration invites a guest writer to establish a dialogue with the images in his or her own way, with the aim of renewing ideas, provoking conversations, establishing new discourses. At a time when online broadcasting is abundant and boundless, CRITIQUES offers something to read and think about. Something to take with you until we meet again.
Subscribe our mailing list to receive updates on the project.
The CRITIQUES series is presented with the support of the Canada Council for the Arts, the Conseil des arts et lettres du Québec and the Conseil des arts de Montréal.