Skip to main content
search
0

Richard Tuohy et Dianna Barrie

– Valpi –

04.11.2020 – 31.12.2020

HD | 2019 | 9 min

 

[To be watched with a Pulfrich filter over one eye! You can just use a pair of sunglasses with the frame tilted so that one eye is covered by the glasses and one eye isn’t.]

Cette vidéo n’est plus en ligne. Cependant, vous pouvez lire le texte de commande ci-dessous et visiter le site web de l’artiste ici.

LE MICROCINÉMA AU TEMPS DE LA COVID-19

Cet événement est présenté en ligne en raison des restrictions imposées relatives aux déplacements et aux rassemblements publics.
Pour une durée limitée, la lumière collective présente à chaque semaine le film d’un artiste accompagné d’un texte de commande.

LISEZ LE TEXTE CI-DESSOUS

Soutenez les artistes indépendants en faisant un don :

FAIRE UN DON

Tous les dons sont distribués aux artistes.

Présenté par
en collaboration avec
Maude Trottier
À l’ombre des volcans

Fallait-il un lieu fixe pour que l’image soit, à ce point, poussée à remettre en cause l’influx d’où elle tire son mouvement ? Un lieu qui existe vraiment certes, mais qui m’est, en tous les cas, apparu à travers tout ce que j’en ignorais : Valparaíso, Chili. À l’ombre des volcans, lovée dans des collines.

D’y avoir été, d’y avoir posé le regard, d’y avoir parcouru l’espace, reste moins la plate attestation, moins la bande de mémoire dûment fixée, moins une veduta d’ensemble, qu’un motif géographique travaillé comme une pièce de tissage, lequel m’évoque une eau qui remplit mon écran depuis le bas, ou encore un rideau de théâtre que l’on tire.

De fait, l’eau se corde : le pas d’un marcheur entraîne l’apparition d’un portail dont la frontalité ne semble y être que pour montrer qu’elle sait se fracturer, derrière et par-dessus les jambes, et dont la porte centrale noyaute une image qui s’échappe à elle-même, tout autant qu’elle voudrait nous faire croire qu’elle pourrait se coïncider.

À l’ombre des volcans, lovée dans des collines, versée sur mon écran, Valparaíso imite le plissement tectonique qui la borde, la terrasse, la tranquillise et l’ouvre à la mer. La mimésis se fait sourde et aveugle : elle n’entend pas les bruits ambiants, elle ne fait guère état de la copie exacte ; elle préfère se ressourcer dans le sol, elle y puise un rythme de souk, elle se moule au corps des plaques, elle les adopte, les aime, les fait siennes, performe, enthousiaste, leur coulissage.

Dans les confins de la tireuse, à l’ombre des volcans, lovée dans des collines, versée sur mon écran, explorant cette autre extrême frontière qui la touche, Valparaíso trouve sa forme, invente un pullulement, noue des rubans qui se côtoient, et, de la sorte, donne la réplique au roulement de ses automobiles, au quidam qui balaie son trottoir, au chien indolent qui s’endort sur elle.

De gauche à droite, de bas en haut, ses typographies et ses panneaux signalétiques ne bornent et ne disent strictement rien que le manège par lequel elle se moque légèrement de moi, en m’engloutissant dans le tintamarre foufou de ses klaxons revendicateurs, de son rythme frappé, de ses crécelles ironiques. Au bout de mes doigts, Valparaíso milite et rigole, hilare, festive, joyeusement détraquée.

Plus je la regarde, plus elle ressemble à ce que je ne connais pas et donc à elle-même, mais plus, dans le même temps, elle se dissemble, têtue et indocile ; plus je la regarde, plus elle se fragmente comme un vieux jouet et plus elle se montre ductile, visqueuse et discontinue. Valparaíso s’étire comme du sucre mou, bariole mon écran, gomme ma cuisine, elle se superpose comme de gros blocs de glace, tournoie, manège, manigance, brille de tous ses feux, fout en l’air, patraque et jeune, la touristique image qui la macule.

Dans les confins de la tireuse, à l’ombre des volcans, lovée dans des collines, versée sur mon écran, au bout de mes doigts, Valparaíso passe maintenant à une autre étape de son exploration et plonge en elle-même. De l’éclatement de ses parties, elle parvient à onduler et à identifier un centre dans le mouvement qu’elle brandissait comme une pancarte, haut et fort, deux minutes plus tôt. La parade s’intériorise, se tourne plus intimement vers ce qui la pulse et la propulse, et de la sorte, déplie une cinétique soudainement devenue immanente, depuis les étages des murs de pierre qui passent comme des bandes magnétiques, comme de la pellicule, comme ce qui s’inverse du dehors au-dedans.

Mais Valparaíso se met à présent à contrecarrer son carrousel intérieur et se replie toujours plus profondément en gravissant ses strates de sucre vers une verticale adéquation qui toujours se dérobe. Ses fenêtres, ses pommes de laitues, ses murs de tôle me remisent dans un creux, me pointent pour ainsi dire, comme si, à présent, la faute me revenait. Valparaíso, en effet, semble suggérer que je suis la grande responsable du tourniquet par où elle est elle-même en n’étant ce que je ne connais pas et par où elle m’accuse maintenant très ostensiblement de la méconnaître, en mugissant : « voilà ce qui arrive à ceux qui ne me savent pas ».

Valparaíso est plutôt gonflée. Comment ose-t-elle m’accuser de la méconnaître, moi qui m’intéresse à elle, qui ne prétends rien, qui parcours sa page Wikipédia, qui regarde les photographies qu’ont prises ses visiteurs, qui lis sur la dérive des continents afin de concevoir ce qu’est la croûte terrestre à l’origine des déplacements tectoniques expliquant ses montagnes, qui tente vraiment de la comprendre, de m’ouvrir à elle, toute décomposée et toute saoule qu’elle est, comment fait-elle de ma posture candide un rire aux éclats si ouvertement insolent ?

Mais ce n’est pas tout, comble du risible, Valparaíso me somme, de plus en plus tapageuse, de la regarder avec un demi-verre fumé, comme si j’avais un demi-verre fumé à portée de main et comme si j’avais le temps, engoncée dans mon écran dans ma cuisine dans mes tâches, de me prêter à une expérience scopique qui semble si prosaïquement ancienne ! Aussi invraisemblable que cela peut paraître, Valparaíso cherche, exhibitionniste, à me montrer qu’elle peut être tridimensionnelle à l’aide d’un quasi-rien ! Que son mouvement depuis le sol, depuis la montagne, depuis la tireuse, depuis l’écran, depuis les verticales bandes, depuis les horizontaux panoramas, en plus, avance vers moi !

Dans les confins de la tireuse, à l’ombre des volcans, lovée dans des collines, versée sur mon écran, au bout de mes doigts, sise dans mon regard, menaçant de se répandre dans ma cuisine, Valparaíso exagère tellement !

Je crois que je l’aime.


La version originale de ce texte a été publiée sur Hors champ le 19.10.2020

Cet événement est présenté dans le cadre de la série CRITIQUES de VISIONS.

VISIONS est une série de projections mensuelles consacrée au cinéma documentaire expérimental et aux artistes dédié.es à l’image en mouvement. Sous la direction de Benjamin R. Taylor, depuis 2014, à Montréal, VISIONS présente ces oeuvres dans plusieurs lieux et en collaboration avec des festivals locaux tels que la Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montréal et Cinéma moderne. Les artistes sont toujours présent.es aux séances. Nous facilitons le voyage des artistes au Canada en organisant des projections, des ateliers et des tournées. Les films sont présentés dans leur format d’origine. VISIONS participe également à plusieurs festivals internationaux, visite d’expositions et facilite la rencontre entre les créateurs et le public.

Le programme en ligne CRITIQUES est une conséquence des activités de programmation reportées de VISIONS. En partant d’une sélection d’œuvres initialement programmées pour la saison 2020, il s’agit de les mettre en dialogue avec un écrivain local à qui l’on demande de réfléchir, réfracter, retracer et réinterpréter l’œuvre en question. Les textes rassemblés sont tout d’abord publiés dans une édition spéciale de Hors champ. Ensuite, à chaque semaine, une œuvre sélectionnée sera diffusée sur la nouvelle plateforme de projection virtuelle-à-l’épreuve-de-la-pandémie du microcinéma local la lumière collective, jumelée avec le texte.

Chaque itération propose à un écrivain invité de dialoguer avec les images à sa manière, dans le but de renouveler les idées, de proposer des conversations, d’établir de nouveaux discours. À une époque où la diffusion en ligne est abondante et sans fin, CRITIQUES vous propose de quoi lire et réfléchir. Quelque chose que vous pourrez garder avec vous jusqu’à notre prochaine rencontre.

Pour suivre le projet, inscrivez-vous à notre liste de diffusion.

La série CRITIQUES est présentée avec le soutien du Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts et lettres du Québec et le Conseil des arts de Montréal.

Maude Trottier
In the Shade of Volcanoes, Valpi (Richard Tuohy, Diana Barrie, 2019)

Was a fixed place necessary for these images that push against the very flux from which they draw their movement? It’s place that certainly exists, but which appeared to me through everything I did not know about it: Valparaíso, Chile. In the shadow of volcanoes, nestled in the hills.

To have been there, to have looked at it, to have traveled through its space not as a flattened witnessing, not as a fixed strip of memory, even less as a large-scale veduta. It’s a geographical pattern that works like lines of weaving, which reminds me of a water filling up my screen from the bottom, or a theater curtain being drawn up.

In fact, the ‘water’ weaves itself together: a walker’s steps lead to the appearance of an entrance whose frontality seems to be there only to show that it can be broken, behind and over the legs, and whose central door drowns in an image that flees from itself. It would have us believe that it could even overlap itself.

In the shadow of volcanoes, nestled in hills, spilling onto my screen, Valparaíso mimics the tectonic folding that borders it, crushes it, tranquilizes it and opens it up to the sea. The imitation becomes deaf and blind: it does not hear the ambient noise, it hardly even reproduces it; rather, it seeks its source in the ground, it draws a souk rhythm from it, it moulds itself to the body of the tectonic plates, it adopts them, loves them, makes them its own, enthusiastically performs their flow.

In the confines of the camera-printer-machine, in the shadow of volcanoes, nestled in hills, spilling over from my screen, exploring this other extreme frontier that touches it, Valparaíso finds its shape, invents an eruption, ties ribbons that overlap one another, and, in this way, provides an answer to its rolling cars, to the unknown character that sweeps its sidewalk, to the idle dog that falls asleep on it.

From left to right, from bottom to top, its typography and its signposts say absolutely nothing but the merry-go-round slightly mocks me, engulfing me in the insane din of its incessant horns, its pounding rhythm, its ironic rattles. At my fingertips, Valparaíso resists and laughs, hilarious, festive, joyfully deranged.

The more I look at it, the more it looks like what I do not know and therefore more like itself. At the same time, the more it dissolves, stubborn and disobedient; the more I look at it, the more it fragments like an old toy and the more malleable, viscous and disjointed it becomes. Valparaíso stretches out like soft sugar, fills my screen with disparate colors, erases my kitchen, overlaps like big blocks of ice, twirls, turns, schemes, shines with all its fires, destroys, wrecks and blights the touristic image that smears it.

In the confines of the camera-printer-machine, in the shadow of volcanoes, nestled in hills, spilling from my screen, at my fingertips, Valparaíso now moves on to another stage of its own making and plunges into itself. From the bursting of its parts, it manages to undulate and identify a center in the movement that it was brandishing like a sign, loud and clear, two minutes earlier. The parade becomes internalized, turns more intimately towards what pulses and propels it, and in this way unfolds a kinetics that suddenly becomes immanent, from the floors of the stone walls that pass like magnetic strips, like film, like what is reversed from the outside in.

But Valparaíso now begins to thwart its inner carousel and retreats ever more deeply as it climbs its sugar strata towards a vertical sufficiency that always slips away. Its windows, its lettuce heads, its sheet metal walls put me back into a hollow, pointing at me as if I were now to blame. Valparaíso, in fact, seems to suggest that I am the one responsible for the turnstile it has become, because it is what I do not know and it now very ostentatiously accuses me of ignoring it, bellowing, “This is what happens to those who don’t know me”.

Valparaíso is rather swollen. How dare it accuse me of not knowing it? I who am interested in it, who claims nothing, who browses its Wikipedia page, who looks at photographs taken by its visitors, who reads about the continental drift to understand how the earth’s crust is at the origin of the tectonic displacements that explain its mountains, I who really try to understand it, to open up to it, all decomposed and drunk as it is. How can it so blatantly and insolently belly laugh at my honest and simple position?

But that’s not all – to the point of being laughable – Valparaíso summoned me, more and more raucously, to look at it with half a pair of sunglasses in my hand, as if I had half a pair of sunglasses  on hand and as if I had the time with a screen in my kitchen with my chores to do, to give myself over to an optical experiment that seems so prosaically old! As unlikely as it may seem, Valparaíso seeks, as an exhibitionist, to show me that it can be three-dimensional with the help of almost nothing! That its movement from the ground, from the mountains, from the camera-printer-machine, from the screen, from the vertical strips, from the horizontal panoramas moves towards me!

In the confines of the camera-printer-machine, in the shadow of volcanoes, nestled in the hills, spilling over from my screen, at my fingertips, filling my eyes, threatening to spill over into my kitchen, Valparaíso really goes too far!

I think I love it.

Translated from the original French by Olga Montes, edited by Benjamin R. Taylor and published by Offscreen on 16.12.2020


The original version of this text was published by Hors champ  on 19.10.2020

VISIONS is a series of monthly screenings devoted to experimental documentary cinema and artists specializing in moving images. Curated by Benjamin R. Taylor in Montreal since 2014, VISIONS presents these films in various venues and in collaboration with local festivals such as the Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montreal and Cinéma moderne. Filmmakers always attend screenings and we help them travel to/within Canada by organizing screenings, workshops and tours. Films are always presented in their original format. VISIONS also takes part in several international festivals and exhibitions and helps bring creators and the public together.

The online program CRITIQUES is a consequence of VISIONS’ postponed programming activities. Starting from a selection of works initially programmed for the 2020 season, the idea is to bring them into direct conversation with a local writer who is asked to reflect, refract, retrace and reinterpret the work in question. The collected texts are first published in a special edition of Hors champ. Then, each week, a selected work is shown on the new virtual-pandemic-proof screening platform of the local microcinema la lumière collective, together with the text.

Each iteration invites a guest writer to establish a dialogue with the images in his or her own way, with the aim of renewing ideas, provoking conversations, establishing new discourses. At a time when online broadcasting is abundant and boundless, CRITIQUES offers something to read and think about. Something to take with you until we meet again.

Subscribe our mailing list to receive updates on the project.

The CRITIQUES series is presented with the support of the Canada Council for the Arts, the Conseil des arts et lettres du Québec and the Conseil des arts de Montréal.