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Guillaume Mazloum

Un grand bruit

18.11.2020 – 31.12.2020

HD | 2017 | 40 min

Cette vidéo n’est plus en ligne. Cependant, vous pouvez lire le texte de commande ci-dessous et visiter le site web de l’artiste ici.

LE MICROCINÉMA AU TEMPS DE LA COVID-19

Cet événement est présenté en ligne en raison des restrictions imposées relatives aux déplacements et aux rassemblements publics.
Pour une durée limitée, la lumière collective présente à chaque semaine le film d’un artiste accompagné d’un texte de commande.

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Tous les dons sont distribués aux artistes.

Présenté par
en collaboration avec
Ouennassa Khiari
EN ATTENDANT LE FEU:
Sur quelques films de Guillaume Mazloum

Il était une fois un tremblement. Je me souviens celui d’une guêpe paniquée… première fraction, premier regard d’une série de sept contemplations mutiques (Guillaume Mazloum, Fractions 1-7, 2015). Je me souviens son acharnement à écraser les murs de sa prison, surmonter le mur de verre. À force de travail, ses pattes atteignent la pellicule voyeuse et l’égratignent, accrochant son désespoir à nos écrans. Elle vrombit jusque dans les pleurs d’un bébé. Lui aussi attend de s’élever au-dessus des murs.
Puis j’ai rêvé que je perdais mes dents. Cracher mes dents de plastique, dents creuses, dents grises… et respirer : ce qui est perdu ne m’étouffera plus.

Finalement, Un grand bruit (Guillaume Mazloum, 2017).
Entre une épiderme-écorce et l’écran, une autre peau : le grain de la pellicule caressant les voix. Il couvre les pages, enveloppe les peaux. Ainsi le film – celui qu’on tient entre ses mains, celui qui se laisse toucher du bout des doigts, du doux des yeux – se rappelle-t-il à notre esprit de la même manière que les livres s’exhibent sous les voix qui les jouent.
L’objet film redouble donc l’objet livre, manipulé délicatement.

Sous les sillons d’une peau cuirassée s’envole un bateau de papier, porté par un timbre profond. J’invente peut-être la colère qui sourd dans ces profondeurs… la guêpe s’est invitée dans la paume d’un homme qui fut autrefois ce bébé. Un sanglot. Le bateau prendra-t-il l’eau ?

La voix monte, soudaine.
Elle se fond dans les mots de Blanchard, Artaud, Laâbi, et d’autres. Elle exhume des colères, des espoirs, des cris. Conte et prophétie, valse d’images et mots, dans Un grand bruit Guillaume Mazloum ressuscite nos violences passées dans des bouches moins passées ; marquées par le temps malgré tout. Il superpose à la surface de sa pellicule – elle-même signe du temps, sujette au temps, expérience temporelle – une foule de passés. Chaque ligne sur la peau pourrait correspondre à une ligne de texte jamais écrit. À une colère, un espoir, un cri, oubliés.
Et comme pour donner de l’amplitude à ce jeu de superpositions, il confronte l’infiniment grand d’un fragment de corps à l’infiniment petit d’un regard.

Dans son cadre gigantisant respire une oreille. Dans un autre, plus distant – la caméra se méfierait-elle ? – surgit une structure à échelle inhumaine où fourmillent des vies, minuscules et pourtant si grandes. On l’entend dans les mots, on le sent dans les sillons de peau. Et moi face à l’écran de me sentir si petite, prise dans des monuments d’encre et de mots et de voix et de chair, face à l’écrasant profil de mes murs quotidiens, pressentis, mais jamais vus. Ma petitesse. L’infinie grandeur de ma petitesse. La petitesse infinie de nos grandeurs.

Un sifflement.
Sa langue caresse d’autres dents. La douceur du zozotement hante l’image, se glisse entre les pages. Une présence. Elle a son écho dans d’autres voix. Elle résonne dans les mots qu’elle adoucit. Mais elle présage de leur cri.
C’est qu’ils témoignent de violences imperceptibles tant leur immensité échappe. On en perçoit parfois le grognement au coin d’une rue, à l’angle d’un texte. Ou le fantôme, quand il passe le seuil de nos portes. De peur, le mur pousse encore. Jamais le monstre entier ne se laisse capturer.

Courbe/cube, sillon/colonne, silhouettes/organes. Un interminable face à face… on en oublie presque ce qui accueille.

La caméra d’en haut, d’en bas, épie donc pour nous ces choses trop grandes, trop bien ancrées pour être vues dans leur entièreté. Pas même à hauteur de ciel. Superstructures cachées en pleine vue. Monstruosités nées d’une foule d’autres bouches soufflant d’autres mots, d’autres violences. Nées aussi de bouches closes. D’yeux détournés, d’oreilles absentes.
Et dans le saut des plans, cette violence qui, décidément, est partout, est mise à nu. Forêts effacées, leur chant remplacé par un son monochrome. De la canopée ne reste qu’un ruisseau, une veine, une cicatrice, un cheveu.
Un autre soubresaut de guêpe. Il faut un changement de conjugaison : ce qui est à perdre n’étouffera plus.

C’est donc un souffle.
Une invitation à déposer nos regards contre cette jugulaire murmurante, peut-être. Souplesse des voix, texture des peaux. La voix de l’une dans les mots de l’autre. Intensité des mots. S’agit-il d’échos de vies entassées ? Masse, foule, communauté, quels mots, quels gestes, quelles séries et répétitions ?
Indéfinissable sentiment que le saisissement des corps tout entiers dans l’écran, dans mes yeux, n’a pas la saveur d’un fragment de corps-(sans ?)-organe. Les bruits, les textures, les souffles anonymes sont plus chauds que la silhouette d’un passant.

C’est la fête et nous n’en savons rien.
Probablement, le nombre de murs excédant celui des portes et fenêtres — en masse ou en quantité —, nous ne pouvons rien voir, rien entendre.
C’est la fête et nous n’en savions rien. Pour nous consoler, des monuments de métal. Ou ces mots d’amour frappés au marteau-piqueur. Des fantaisies de béton. Leur poids ne respecte aucune règle. Ils n’ont de force que leur nombre. Mais tous ces mots, toutes ces plumes, toutes ces voix se multiplient les uns par les autres. Exposant/puissance, pareil. C’est la fête, ils ne tiendront pas longtemps.
Le bateau prend feu.
Être étincelle, braise, devenir incendie.


La version originale de ce texte a été publiée sur Hors champ le 19.10.2020

Cet événement est présenté dans le cadre de la série CRITIQUES de VISIONS.

VISIONS est une série de projections mensuelles consacrée au cinéma documentaire expérimental et aux artistes dédié.es à l’image en mouvement. Sous la direction de Benjamin R. Taylor, depuis 2014, à Montréal, VISIONS présente ces oeuvres dans plusieurs lieux et en collaboration avec des festivals locaux tels que la Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montréal et Cinéma moderne. Les artistes sont toujours présent.es aux séances. Nous facilitons le voyage des artistes au Canada en organisant des projections, des ateliers et des tournées. Les films sont présentés dans leur format d’origine. VISIONS participe également à plusieurs festivals internationaux, visite d’expositions et facilite la rencontre entre les créateurs et le public.

Le programme en ligne CRITIQUES est une conséquence des activités de programmation reportées de VISIONS. En partant d’une sélection d’œuvres initialement programmées pour la saison 2020, il s’agit de les mettre en dialogue avec un écrivain local à qui l’on demande de réfléchir, réfracter, retracer et réinterpréter l’œuvre en question. Les textes rassemblés sont tout d’abord publiés dans une édition spéciale de Hors champ. Ensuite, à chaque semaine, une œuvre sélectionnée sera diffusée sur la nouvelle plateforme de projection virtuelle-à-l’épreuve-de-la-pandémie du microcinéma local la lumière collective, jumelée avec le texte.

Chaque itération propose à un écrivain invité de dialoguer avec les images à sa manière, dans le but de renouveler les idées, de proposer des conversations, d’établir de nouveaux discours. À une époque où la diffusion en ligne est abondante et sans fin, CRITIQUES vous propose de quoi lire et réfléchir. Quelque chose que vous pourrez garder avec vous jusqu’à notre prochaine rencontre.

Pour suivre le projet, inscrivez-vous à notre liste de diffusion.

La série CRITIQUES est présentée avec le soutien du Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts et lettres du Québec et le Conseil des arts de Montréal.

Ouennassa Khiari
Waiting for the Fire
Focus on a few films by Guillaume Mazloum

Once upon a time, there was a tremor. I recall the trembling of a panicked wasp – the first Fraction, the first sequence in a series of seven silent contemplations (Guillaume Mazloum, Fractions 1-7, 2015). I remember its determination to destroy the walls of its prison, to overcome its glass barrier. Clawing and scratching away urgently, projecting its despair onto our screens. It droned right into a baby’s cries. He, too, yearned to overcome his barriers.

Then I dreamt that I lost my teeth. Spitting out my plastic teeth, hollow teeth, grey teeth… and breathing – what is lost will no longer suffocate me.

Finally, Un grand bruit [A Great Noise] (Guillaume Mazloum, 2017). Between bark-like skin and the screen, another skin: the film grain caressing the voices it holds. It covers the pages, swathes the skin of its subjects. Thus, the film – the one in our hands, the one we brush with our fingertips, the one we behold with softened eyes – resonates in our mind in the same way that books are brought to life by the voices that read them. The film object doubles the delicately handled physical book. Beneath the furrows of leathery skin, a paper boat sails off, propelled by a deep timbre. I may be imagining the wrath that deafens in these depths – the wasp has dared step onto the palm of a man who was once that baby. A sob. Will the boat sink

The voice rises, suddenly.
It melts into the words of Blanchard, Artaud, Laâbi, and others. It conjures up anger, hopes, screams. Tales and prophecy, images and words waltz. In Un grand bruit Guillaume Mazloum resurrects our past violence in mouths less lived but marked by time all the same. On the surface of his film – itself a sign of time, subject to time, a temporal experience – he superimposes a crowd from the past. Each line on the skin could represent a line of text never written. For forgotten anger, hope, screams.

As if to amplify this play on superimpositions, he contrasts an impossibly large body part with an infinitely small glance. In his increasingly gigantic framing, an ear breathes. In another, further along – is the camera exercising caution? – an inhumanly-sized shape appears, in which minuscule, yet enormous lives swarm. It is heard in the words, felt in the grooves of the skin. And I sit before the screen feeling so small, overwhelmed by monuments of ink and words and voices and flesh, faced with the immense outline of my own daily walls, sensed but never seen. My smallness. The infinite magnitude of my smallness. The infinite smallness of our magnitude.

A whistling sound.
Its tongue caresses other teeth. The softness of a lisp haunts the image, slips between the pages. A presence. It echoes other voices. It resonates in the words that it softens. But it is a harbinger of the cries of those words. For they bear witness to imperceptible violence, whose magnitude slips unseen. At times, the growl can be heard on a street corner, in the angle of a text. Or from the ghost, when it glides across our doorstep. Out of fear, the wall rises higher. The monster shall never let itself be captured whole.

Curve/cube, groove/column, silhouettes/organs. An endless face to face – it’s almost difficult to remember what keeps us here

The camera from above, from below, spies for us on things that are too big, too well entrenched, to be seen in their entirety. Not even from the sky. Superstructures hidden in plain sight. Monstrosities born of a crowd of other mouths blowing other words, other violence. Born also from mouths sealed shut. From averted eyes, from absent ears. And in the sudden cuts, this violence, which is decidedly everywhere, is laid bare. Forests erased; their song replaced by monochrome sound. Only a stream, a vein, a scar, a hair remains of the original canopy. Another jolt from the wasp. A change in tense is required: what will be lost will suffocate no more.

And so, it’s a breath of air. An invitation to cast our eyes upon this murmuring jugular, perhaps. The softness of the voices, the texture of the skin. The voice of one person in the words of another. The depth of the words. Are these the echoes of lives amassed? Crowd, mass, community. Which words, which gestures, which series and repetitions?

The indescribable feeling that showing whole bodies on the screen, in my eyes, lacks the impact of a body-(without?)-organ part. The noises, textures, anonymous breaths are warmer than the silhouette of a passer-by.

It’s a party we didn’t know about. It is likely that the number of walls exceeds the number of doors and windows – both in mass and quantity – so we cannot see or hear anything. It’s a party we didn’t know about. Metal monuments to console us. Or those words of love plied with a jackhammer. Concrete fantasies. Their weight doesn’t respect any rules. Their strength is only their number. But all these words, all these feathers, these voices multiply one another. Exhibitor/power, it’s the same. It’s party time, but they won’t hold out for long. The boat catches fire. To spark, to turn to ember, to become fire.

Translated from the original French by Olga Montes, edited by Benjamin R. Taylor and published by Offscreen on 16.12.2020


The original version of this text was published by Hors champ  on 19.10.2020

VISIONS is a series of monthly screenings devoted to experimental documentary cinema and artists specializing in moving images. Curated by Benjamin R. Taylor in Montreal since 2014, VISIONS presents these films in various venues and in collaboration with local festivals such as the Cinémathèque québécoise, la lumière collective, être, Ex-Centris, RIDM, FNC, POP Montreal and Cinéma moderne. Filmmakers always attend screenings and we help them travel to/within Canada by organizing screenings, workshops and tours. Films are always presented in their original format. VISIONS also takes part in several international festivals and exhibitions and helps bring creators and the public together.

The online program CRITIQUES is a consequence of VISIONS’ postponed programming activities. Starting from a selection of works initially programmed for the 2020 season, the idea is to bring them into direct conversation with a local writer who is asked to reflect, refract, retrace and reinterpret the work in question. The collected texts are first published in a special edition of Hors champ. Then, each week, a selected work is shown on the new virtual-pandemic-proof screening platform of the local microcinema la lumière collective, together with the text.

Each iteration invites a guest writer to establish a dialogue with the images in his or her own way, with the aim of renewing ideas, provoking conversations, establishing new discourses. At a time when online broadcasting is abundant and boundless, CRITIQUES offers something to read and think about. Something to take with you until we meet again.

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The CRITIQUES series is presented with the support of the Canada Council for the Arts, the Conseil des arts et lettres du Québec and the Conseil des arts de Montréal.